TEMOIGNAGES

g Visite de Fragan à son papa: témoignage d'une nantaise
g Le calvaire des familles:
Témoignage de Solenn, fille et amie de prisonnier politique breton
g Prison de Fresnes, nov-1999: Témoignage d'un prisonnier
gQuelques autres extraits: témoignages de femmes et d'enfants


Témoignage d'une nantaise

g Visite de Fragan à son papa

" Départ de Nantes le 25 décembre au soir en voiture, direction Lorient, à 160 kilomètres de là (soit150 frs de carburant). C'est le trajet qu'il me faut parcourir pour rejoindre Fragan, petit garçon de 7 ans, que j'emmène jusqu'à une Maison d'arrêt pour Hommes de la région parisienne voir son papa détenu de façon "provisoire" et "préventive" depuis le 13 novembre 1999 (sans même qu'aucune date de procès n'ait encore été fixé!).

De Lorient, nous reprenons tous deux le train de 21h26 en direction de Nantes (le trajet Lorient/Paris n'existe pas à cette heure, il faut passer obligatoirement par Rennes ou Nantes). Arrivée à la gare de Nantes: 23h15. Déjà fatigués du voyage, nous nous empressons de nous coucher car notre train part le lendemain matin à 5h pour Paris où nous arriverons à 7h20 (total des trajets Lorient/Nantes + Nantes/Paris = 306 frs).

Notre parloir étant à 8h45 et sachant que le trajet à effectuer prend environ 1h15 dans les transports en commun, nous prenons donc un taxi (soit 256 frs la course). Arrivée à la prison 8h30: Un quart d'heure après, c'est l'appel ! Après bien évidemment une série de contrôles d'identité, après aussi nous être débarrassés de toutes affaires personnelles et avoir retiré nos laissers-passer aux guichets, on nous fait asseoir dans une salle d'attente. Vers 9h30 donc, nous avons enfin pu voir Gérard !

Notre retour en Bretagne se déroula plus tranquillement,nous n'avions plus l'angoisse d'être retardés (car un retard, si petit soit-il, vous ferme automatiquement l'accès à la prison). Retour donc jusqu'à la Gare Montparnasse en RER et métro (plus long que le taxi, 30 frs), puis direction Nantes et enfin Lorient (total trajet 4h10 et 286 frs). Je n'avais plus qu'à ramener Fragan et à retourner à Nantes après avoir récupéré ma voiture (là encore 150 frs de carburant).

Bilan des courses : 14h de trajet et 1172 frs ! Et tout ça pour seulement 30 minutes de parloir ! (en effet, Gérard s'était vu refuser sa demande de parloir prolongé faite en temps et en heure auprès du juge, et qui doit normalement être accordée pour les enfants de détenus à l'occasion de Noël).

Céline B. (décembre 2001)

PS 1 : Gérard est détenu depuis novembre 1999 en région parisienne pour les besoins de l'instruction concernant le vol d'explosifs de Plévin, cependant il n'est interrogé par les juges instructeurs qu'environ tous les huit mois !

PS 2 : Doit-on rappeler qu'au regard de la loi française il est toujours présumé innocent ?

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Le calvaire des familles

g Témoignage de Solenn, fille et amie de prisonnier politique breton

"Il est quatre heures du matin. Ce samedi-là, Mireille a rendez-vous à la Maison d'Arrêt de Fresnes (en région parisienne) avec Kristian, son mari incarcéré depuis plus d'un an sans qu'il ait été jugé. Elle dispose d'une heure pour déjeuner, se préparer, "se faire belle", rassembler ses affaires (de quoi lire dans le train, un parapluie, un encas au cas où malgré tout elle ait un peu faim, des mouchoirs…). Mireille doit également prendre avec elle les livres et vêtements qu'elle souhaite emmener à son mari. C'est lourd, trop pour quelqu'un qui va devoir marcher voire courir pour monter dans les trains, les métros et les bus mais elle n'a pas le choix. Un voyage en voiture lui coûterait aussi cher, multiplierait les risques d'accident et la fatiguerait beaucoup. Car Mireille et Kristian habitent en Bretagne mais lui est incarcéré en région parisienne, la juridiction des juges spécialisés dans ce qu'ils appellent l'anti-terrorisme. Cet éloignement (variant de 400 à plus de 700 kilomètres selon les familles) est justifié par le fait que les juges sont amenés à interroger les mis en examens et qu'il est donc plus pratique, pour eux, de les incarcérer en région parisienne. Seulement les entretiens avec les juges sont assez rares. Deux par trimestre en moyenne. L'éloignement familial est en fait un moyen d'oppresser un peu plus les présumés innocents incarcérés et leur familles. Car pour Mireille, une visite au parloir est un véritable "parcours du combattant".

Seulement trente minutes de visite
A cinq heures du matin, donc, elle monte dans sa voiture pour rejoindre à cinquante kilomètres de son domicile la gare de Laval en Mayenne où elle prendra un Train Express Régional qui s'arrêtera au Mans. Là, elle devra attendre sur le quai de la gare pendant près d'une heure qu'un Train Grande Vitesse arrive pour l'emmener à la gare de Paris Montparnasse. Alors, elle ira, en métro, jusqu'à la Porte d'Orléans où elle attendra un bus qui la déposera assez près de la Maison d'Arrêt de Fresnes. La plupart du temps, elle arrive en avance car elle craint les réactions imprévisibles et arbitraires de l'administration pénitentiaire et elle ne souhaite pas qu'une minute de retard soit l'excuse pour l'empêcher de voir Kristian. Lorsque la salle d'accueil des familles est ouverte, elle y entre pour y prendre un café ("il ne coûte que deux francs alors ça va" Chaque voyage lui coûte plus de 500 francs). Autrement, elle attend dehors. Lorsque est venue l'heure, elle dépose ses affaires dans un casier. Elle y dépose tout ce qui est susceptible de déclencher les portiques de détection métallique. D'ailleurs, comme beaucoup elle a repéré parmi ses vêtements ceux qui ne convenaient pas aux machines de la prison et elle les réserve pour d'autres occasions. Une fois passée cette première barrière, elle doit attendre dans un premier sas qu'on lui donne son permis de visite en échange d'une pièce d'identité. Ensuite, elle passe une nouvelle porte. Elle attend et on la faire pénétrer dans un grand couloir qu'elle traverse pour descendre au sous-sol : là où sont installés les cabines de parloir. Une fois qu'elle a repéré celle qu'on lui attribuée, elle attend qu'un gardien vienne lui ouvrir puis referme à clé la porte sur elle. Et c'est seulement à ce moment que son mari est in,troduit dans le couloir des parloirs. On lui ouvre et ils se retrouvent enfin, pour 30 minutes (ou 45 minutes, si la visite a lieu dans la semaine). Ils sont dans un local minuscule, très peu éclairé, sentant le renfermé et sont séparés par un muret derrière lequel est fixé le siège du prisonnier. Ils peuvent toutefois se tenir la main et s'embrasser, sous l'œil inquisiteur parfois trop insistants des gardiens.

Des parloirs sur écoutes
Régulièrement, les visites au parloir sont enregistrées, à l'insu des familles et des prisonniers bien sûr. On ne le sait que lorsque les juges y font référence au cours d'interrogatoire ou dans leurs rapports. Ces trente minutes tant attendues passent très vite. Et lorsque le signal indique la fin de la visite c'est le début du parcours dans l'autre sens, sauf qu'en plus Mireille saura que Kristian reste derrière les barreaux malgré son innocence soit disant présumée. Elle sait aussi qu'elle ne pourra pas revenir avant deux ou trois semaines, qu'elle ne verra pas ni n'entendra Kristian pendant tout ce temps car les prisonniers n'ont pas le droit au moindre coup de téléphone (au cours de la Garde à Vue non plus d'ailleurs. La plupart du temps, cela est justifié par des mesures de sécurité exigée par le juges d'instruction). Mireille ne sait pas pendant encore combien de temps elle devra subir toutes ces épreuves. Elle repasse les portes, les contrôles, les sas. Elle retraverse les couloirs, les salles sous le regards des gardiens. Au bout, elle récupère son sac, un peu délesté des livres et vêtements qu'elle a fait passer à Kristian. Et elle marche pour aller prendre le bus, elle marche ensuite pour aller prendre le métro et elle marche encore pour aller prendre le train qui la ramènera à Laval où elle devra encore conduire pendant près d'une heure au bout de la quelle elle récupérera sa petite fille de onze qui était restée chez une tante ("Il ne faudrait pas que les visites au parloir soient une habitude. Une fois de temps à autre, quand elle l'a décidé, est déjà très difficile à endurer pour la Petiote"). Elle pourra ensuite regagner sa maison. Il sera au moins 18 heures."


Solenn GEORGEAULT

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Prison de Fresnes, nov-1999

g Témoignage d'un prisonnier

"Les prisonniers sont réveillés à 7 heures du matin par le raffut que fait le gardien ("le porte-clefs"). Les portes sont alors déverrouillées : il y en a une épaisse en bois et une autre faite de barreaux de fer. C'est le moment de se laver un peu au lavabo où il n'y a que de l'eau froide. La petite cellule fait environ 9 m². Il y a des toilettes, un lit en fer, une petite table, un meuble accroché au mur et un tabouret. Il ne reste pas beaucoup de place pour le prisonnier, ou les prisonniers car dans une cellule d'environ 15m² on met souvent deux ou trois personnes.
Vers huit heures, la porte s'ouvre à nouveau. On vous donne alors une tranche de pain et un bol de café, souvent tiède. Mais comme la cellule est froide, cela fait du bien quand même.
A neuf heures on peut aller "en promenade". C'est un joli mot pour si peu de chose. En réalité vous avez le droit de sortir de votre petite cellule pour aller dans une petite cour (7x10m). Au-dessus de la cour, il y a un filet de fer. Aucune chance de s'en aller en volant ! Vous n'êtes pas obligés de sortir. Le plus souvent, on préférera profiter de la matinée pour travailler : apprendre ou se perfectionner en breton, par exemple, écrire, étudier et autre… La soirée sera plutôt employée à la lecture et à l'écriture à la famille. Certains préfèrent écouter la radio. Les plus riches peuvent louer la télévision : 160 francs la semaine, 640 francs par mois. C'est trop pour beaucoup de prisonniers. Car avant cela, chaque prisonnier doit acheter quelques choses pour améliorer son quotidien. Mettons que cela lui coûtera entre 300 et 500 francs. Il est évident que l'on ne peut pas dire que les prisonniers sont tous égaux.
Tous inégaux
9h30. Le gars de la cantine passe devant votre cellule pour vous apporter les choses que vous aurez éventuellement commandées. Sinon, que dalle ! La porte reste fermée. On entend les gens parler, les gardiens hurler des ordres, la charrette de cantine s'éloigner.
Trois fois par semaine vous pouvez prendre une douche. Il vaut mieux avoir des chaussures spéciales du genre "tongs" pour y aller et éviter d'attraper toutes sortes de microbes. Tous les employés de la prison portent des gants pour tout travail au cours duquel ils peuvent avoir un contact avec les prisonniers. Tout le monde craint le Sida. Il y a de quoi, en vérité.
Le prisonnier passe son temps à se déshabiller, à se mettre nu pour n'importe quel déplacement dans l'enceinte de la prison. Ses vêtements sont alors fouillés, lui aussi. Aujourd'hui, on ne met plus le doigt dans votre anus mais on vous fait vous accroupir et tousser. De quoi vous humilier, quand même.
11h30 : C'est le déjeuner. Il ne faut pas être difficile. Il y a de quoi manger mais c'est froid, gras et il faut vraiment avoir faim pour se mettre à table. Les plus riches peuvent toutefois s'acheter d'autres repas…
La prochaine promenade est à 14h15. Depuis que vous vous êtes levé, vous n'avez eu l'occasion de parler à personne sauf si votre avocat est passé ou si vous avez eu besoin d'aller à l'infirmerie. Il vaut mieux aller prendre l'air un peu et parler avec d'autres prisonniers. C'est toujours instructif !
La prison ronge les prisonniers comme la cancer ronge une personne malade. Là-bas, vous n'êtes rien. Que dalle ! Seulement un numéro. A Fresnes on appelle les gens comme s'ils étaient du bétail. "Toi là, enlève tes mains de tes poches", "Fermez vos gueules", "Marchez le long des murs en silence", "A poils", "Traîne ta merde au milieu du couloir"… et d'autres phrases plus riches encore… Mais on appréciera alors la solidarité entre prisonniers. On vous donnera du papier, des timbres, de la lessive et de l'eau de javel si vous venez juste d'arriver et que vous n'avez rien.
Le manoir des longues nuits
Après la promenade, le dîner est vite servi. Il est 17h30. Ensuite, les portes (celle en bois et celle en fer) se refermeront à nouveau, jusqu'au lendemain matin cette fois. Le prisonnier ne parlera plus avec personne. Il restera seul. Il sera espionné jour et nuit par l'œilleton de la porte.
La dure et inquiétante nuit commence alors dans "Le manoir des longues nuits". Les nuits resteront gravées dans la mémoire de tous ceux qui sont passé par Fresnes. C'est là que l'on avait laissé Jean Groix crever. Ce n'est pas étonnant quand on sait qu'environ 3000 personnes sont incarcérées à Fresnes, par exemple. Combien ont essayé ou essaieront de mettre fin à leur jour pour fuir l'enfer de la prison ? Bien sûr, tout le monde est sourd dans ces cas-là. Le lendemain matin, personne n'aura rien entendu. C'est sans doute pour cela que l'on vend des "boules Quiess" à la cantine…
Globalement, les prisonniers sont angoissés quand la nuit tombe. La nuit leur fait peur, car plus que pendant la journée, on peut entendre les cris d'un prisonnier qui subit les coups d'un autre, par exemple.
La nuit leur fait peur, car plus que pendant la journée, on peut entendre les cris d'un prisonnier qui appelle sa mère alors qu'un autre le viole.
Et "Le manoir des longues nuits" redevient silencieux, paisible même.
Avant d'être découragé ou dégoûté, un prisonnier politique se plongera dans ses souvenirs et ses idées. Alors s'élèvera en lui une volonté inébranlable de lutter encore pour son pays, pour les droits de l'homme, pour la liberté…"

Fresnes, novembre 1999.

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QUELQUES EXTRAITS DE TEMOIGNAGES

g Nous continuons à recueillir les témoignages des personnes victimes de garde à vue, de perquisitions et de violences abusives, mais ausi celui des témoins, des amis, famille ou enfants, très touchés par ce que subissent les miliotants politiques bretons et leurs familles.

Les personnes qui nous ont confié leurs témoignages n'ont pas toujours souhaitées être nommées ni que l'intégralité de leurs écrits soient diffusés. Nous respectons leurs souhaits en diffusant uniquement des extraits.

"Depuis, mon fil (5ans)a peur d'être abandonné, il a peur du noir, il a peur pour son papa, il a peur pour lui, il a peur pour sa maman. Il s'est réveillé toutes les nuits, pendant 15 jours, puis cela c'est calmé."

"Une arrestation aussi musclée et violente, quatre jours de garde à vue pour être entendu en temps que "témoin"! Ni a-t-il pas d'autres moyens pour mener une enquête?"

"Pendant la perquisition, cela ne ressemble plus à votre maison, vous n'êtes plus chez vous, vous n'avez plus le droit de bouger sans ordre, ni de rien toucher. C'est un sentiment d'humiliation. On se sent dominé, méprisé. Ils ne respectent rien et se permettent tout, bafouant votre intimé. Ils lisent votre courrier, fouillent vos vêtements, vos photos."

"La petite est arrivé en disant qu'ils avaient tout cassé, qu'ils était très nombreux, et qu'elle avait eu peur en entendant tout ce bruit et la vitre qui éclatait."

"Les policiers, ils n'ont pas le droit de tout casser et de fouiller partout chez moi! Il n'ont même pas laissé mon papa s'habiller, ils lui ont mis les menottes et l'ont emmené avant qu'il puisse mettre un tee-shirt!"

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