Le Peuple Breton - septembre 2001
L'invité du Peuple Breton
La loi, les droits, l'arbitraire... par Roger Gicquel


L'aînée des deux filles de Marijo n'est pas prête d'oublier la date du 13 juin 2000. Pour l'anniversaire de ses douze ans, son "cadeau " fut, à la pointe du jour, une immense frayeur. Cinq heures quarante-cinq, la porte de la maison vole en éclats, quelques-uns de la vingtaine de policiers cagoulés ou casqués qui avaient investi le quartier Saint-Michel donnent l'assaut dans I'escalier, font irruption dans les chambres. La plus petite des filles, terrorisée, se serre contre sa mère. Marijo, Fanch son compagnon, les deux enfants sont rassemblés dons la cuisine. Une voisine et amie a été témoin de la scène, les enfants lui seront confiés par leur mère qui ne sait pas encore le pourquoi de cette intervention musclée à laquelle participent les hommes du GIPN auxquels on confie les missions dangereuses du type prise d'otages ou arrestations de forcenés. Comme son compagnon, Marijo apprendra à la gendarmerie qu'elle va être entendue comme témoin dans le cadre d'une commission rogatoire suite au vol des explosifs de Plévin et de divers attentats attribués à I'ARB. On lui dira aussi qu'elle ne sera pas entendue, étonnante précision, à propos de l'attentat de Quévert où LaurenceTurbec, une employée du Mac Donald fut déchiquetée par la bombe le 19 avril précédent. Jusque là, Marijo doit penser que son appartenance, qu'elle affiche volontiers dans sa jolie librairie-cadeaux, au mouvement breton dont on dit tout et n'importe quoi, peut justifier éventuellement qu'elle soit entendue pour les nécessités de l'enquête. Ce qu'elle n'admet pas alors, ce sont les moyens totalement disproportionnés utilisés pour son interpellation en présence des enfants. Elle n'est pas au bout de son indignation : vers dix heures, au sortir de la gendarmerie, on lui passe les menottes, mains dans le dos afin que nul du petit public venu aux renseignements n'en ignore. Et comme s'il allait de soi qu'un simple témoin pouvait être considéré comme un suspect. Fanch subira le même sort et comme on ne lui a pas laissé le temps de passer une chemise ni de se coiffer cela en rajoutera au caractère inquiétant de sa silhouette. La garde à vue du couple à Rennes durera quatre jours et trois nuits. La plupart des questions porteront sur leurs relations militantes. Rien officiellement, ne sera retenu contre eux.
A son retour, Marijo à eu le réconfort d'un soutien venu de tous horizons et qui s'était déjà manifesté en son absence par un rassemblement de protestation. C'est de là qu'est né un Collectif de Femmes CONTRE les méthodes d'interpellation brutales et disproportionnées de la part des forces de l'ordre et POUR le respect des droits des enfants et des femmes. Un collectif qui a élargi son action non seulement pour l'obtention de visites aux sept prisonniers bretons toujours en détention à Paris, pour le rapprochement de ceux-ci afin de maintenir la structure familiale, pour dénoncer les procédures judiciaires abusives, pour aider aux démarches juridiques, administratives, médico-social, mais aussi pour participer à la lutte des femmes afghanes, algériennes, flamandes dans la reconnaissance de leurs droits. Si j'ai rappelé cet épisode de Quimperlé - qui n'est qu'un exemple parmi d'autres - épisode relaté par la presse régionale en son temps, c'est qu'il illustre on ne peut mieux les excès commis au nom de la République comme pour diaboliser tout ce qui de près ou de loin touche à l'identité culturelle bretonne et, dans ce cadre, à la liberté d'opinion. J'ai suffisamment, avec beaucoup d'autres, dénoncé publiquement la violence activiste pour m'inscrire parmi ceux qui réclament que la justice passe et vite. Ou bien il n'y a rien ou si peu dans les dossiers des détenus provisoires, et il faut le dire et procéder aux libérations; ou bien au terme de plus d'un an d'instruction on sait à quoi s'en tenir et il faut ouvrir les procès. Les brimades infligées aux prisonniers dont trois ont besoin de récupérer une santé très fragilisée n'apportent rien à la connaissance des faits mais augmentent le sentiment qu'il y a deux sortes de justice. Des voix s'élèvent en toute citoyenneté pour une clarification qu'attendent aussi la famille et les proches de Laurence Turbec. Sans cette clarification, le sentiment diffus qu'il y a eu précipitation dans la désignation des auteurs de l'attentat de Quévert, et cela au détriment de I'enquête, que d'autres pistes n'ont pas été exploitées, l'hypothèse d'une manipulation par exemple, ne fera que se renforcer au grand dommage de la démocratie et de la crédibilité de nos appareils de police et de justice. Enfin, il y a cette idée émise par une association intitulée Identité bretonne. Elle consiste à redouter que sans un non-lieu ou sans un procès avant l'ouverture de la campagne électorale, une grâce présidentielle, en 2002, élargisse discrètement certains " mis en examen " et qu'ainsi ces personnes " conserveraient dans l'opinion publique leur présomption de culpabilité, car elles n'auraient pu ni s'expliquer, ni se défendre ". L'auteur de ce communiqué de presse ajoute qu'en 1974, il y a déjà eu " cette grâce présidentielle (qui) évitait ainsi un procès qui aurait pu faire tomber les masques des barbouzes impliqués... "

Roger Gicquel

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